Wednesday, July 27, 2011

Soirée magnétique !



Je travaille en province ! Quelque temps après le tremblement de terre, j’avais déménagé mes activités professionnelles principales hors de Port-au-Prince. Je reviens le week-end pour liquider les affaires courantes qui ne peuvent se régler qu’à la Capitale.
Cette semaine-là, j’avais décidé de rentrer plus tôt, dès le jeudi, afin de profiter au maximum de la journée du vendredi, dernier jour ouvrable de la semaine. Une fois à Port-au-Prince, en route vers ma demeure, je repérai une pancarte à un coin de rue annonçant tranquillement la reprise des activités du groupe RAM pour le soir même, à leur local habituel : l’Hotel Oloffson.
« Tiens, pourquoi pas ce soir ? » pensai-je.
Le fait est qu’il y a pas mal de temps que je me promettais de participer à ces soirées à la plus prochaine édition. Mais je fais partie de ce gens pour qui le week-end commence le Vendredi soir.
J’avais eu le temps d’oublier ma promesse quand, vers neuf heures du soir, la platitude des programmes à la télévision m’inspira l’envi de sortir à nouveau. Je décidai alors d’honorer ma résolution d’à peine quelques heures.
Je me préparai, et dans l’heure qui suivit, je franchissais le guichet d’entrée de l’Hotel Oloffson après versement de ma cotisation de cinq cent Gourdes. A mon entrée, le salon où le groupe évoluait déjà était noir de monde, des expatriés pour la majorité, décidé à se mettre dans l’ambiance ou occupé à se désaltérer au bar à côté.
En bon Haïtien qui se respecte, j’adore le tambour. Il m’arrive de croire que mon moi conscient n’a vraiment rien à voir avec cette attraction et que mon ADN en avait décidé tout seul. J’ai suivi dans le temps des cours de ballet folklorique haïtien. Ils m’avaient aidé à restaurer la souplesse de mon corps et à garder la forme. Ils m’avaient encore permis de communiquer davantage avec cet esprit si particulier qui entoure toute invocation de la réalité profonde du monde rural haïtien si loin et pourtant si proche. Justement, j’avais découvert quelques minutes auparavant, dépitée, une petite affiche derrière le bar qui proposait des cours de danse aux potentiels intéressés… les mercredis !
Que je me suis amusée à cette soirée ! Je ne me rappelle pas avoir dansé autant de ma vie. Les paroles et le rythme des morceaux me revenaient naturellement pour avoir été un client fidèle du carnaval de Port-au-Prince ces vingt dernières années. J’ai dansé, dansé sans voir les heures s’écouler !
Je suis moi-même une femme, pourtant, les voix, les corps sensuels et vrais de femme qu’on devine avoir déjà porté la vie, les corps de mères haïtiennes dans leur plein épanouissement, qui gardent malgré tous leurs combats une harmonie presque rigide, me fascinent. Et quand ces corps se mettent à danser en toute liberté, avec cette grâce incontestée, sur des rythmes tantôt chauds tantôt lascifs, le spectacle devient magnétique.
Récemment, une amie que je présenterai comme « un arpenteur de restaurants » m’avait décrit les locaux où je me tenais en des termes peu flatteurs. La pénombre n’a pas réussi à camoufler complètement l’état de délabrement un peu généralisé du bâtiment. En dépit de tout, le gingerbread en lui-même, la véranda où s’alignaient les sièges du restaurant, la piscine, les statues de loas dans la cour diffusaient tous leurs charmes et leur mystère.
Ce programme est unique dans son genre pour tout Port-au-Prince, peut-être même pour le pays tout entier. Mon amie que j’ai mentionnée plus haut s’était plainte également de ne plus retrouver d’ Haïtiens, de « locaux » comme elle les appelle dans son jargon, dans les restaurants de Port-au-Prince les soirs de fin de semaine. Je ne sais si je puis généraliser et faire porter le chapeau à la situation économique branlante du pays ou au désintéressement chronique de l’Haïtien contemporain à ce qui constitue sa racine véritable. Ils évoquent même à l’occasion plusieurs excuses : leur appartenance aux religions occidentales, la propagande négative qui a entachée le vodou à ses balbutiements …Ils font abstraction du folklore, cet aspect de la culture d’un peuple qui fait son identité et qui attire pour une grande part le touriste vers les nouveaux horizons.
Quand vint la fin de la soirée, que le groupe avait entamé sa ronde d’adieu sur la scène, je ne me sentais guère fatiguée. Je rentrai rattraper quelques heures de sommeil qui me remettraient d’aplomb pour la journée du lendemain incontestablement chargée. Et je me suis promis de recommencer mais pas toute seule la prochaine fois!
Lyvie CANTAVE

Mon plat préféré



Depuis quelque temps je regarde à la télévision les épisodes d’un documentaire au concept très original. Il s’agit de faire valoir un aspect particulier de la culture de telle ou telle contrée de la planète en suivant un enfant ordinaire vivant dans cette contrée dans ses activités durant une journée ordinaire. L’émission est dédiée d’après moi aux plus jeunes mais je n’en rate jamais un épisode volontairement.
Vint le tour d’une petite fille vivant en Thaïlande. Premier choc : là-bas ils consomment le riz aux trois repas ! Dire qu’en Haïti, la plaisanterie veut que les Artibonitiens ne mangent que du riz et à tous les repas, même en en-cas. Ces détracteurs seraient surpris de voir que cette possibilité est déjà un fait établi pas trop loin de chez nous.
Je suis originaire de l’Artibonite et Je me permets d’infirmer cette rumeur, à mon niveau tout au moins. Mais je peux également affirmer ce complexe vis-à-vis du riz qui survit chez une grande majorité d’Artibonitiens. Pour eux, manger une céréale autre que le riz est dégradant. Et ils ne sentent rassasiés après le repas de midi que s’il y a eu du riz au menu. Mon frère a trouvé le terme parfait pour exprimer son attachement au riz : « rice corporation ! ». Enfin je constate que dernièrement ce complexe s’est quelque peu répandu bien au-delà des frontières de l’Artibonite…
J’en parle, moi, de cet état de chose parce qu’a toute règle il faut une exception. Je suis l’exception qui confirme ce culte du riz chez les Artibonitiens. J’aligne toutes les excuses : la diète pour ma ligne, mon gout pour la variété en cuisine, le riz étant l’ennemi numéro 1 du diabète, le riz vous fait pousser du ventre etc…
Enfin, je suis l’exception jusqu’à un certain point car mon plat préféré ne saurait s’en passer. J’adore « Lalo». Là, mon amie m’arrêterait surement pour me dire : « Jeune fille, on n’adore que Dieu seul ». Mais prenez le mot dans son sens d’amour viscéral. En effet, « Lalo » ne me procure de véritable plaisir qu’accompagné de riz blanc : du riz la crête ou Madame Gougousse, produit local, produit de l’Artibonite, arrosé avec l’eau du fleuve.
Les foires gastronomiques réalisées assez régulièrement sur le Champs de Mars tous les 1er Mai ces dernières années ont contribué à la vulgarisation et à la promotion des plats typiques aux différentes régions d’Haïti. Et je me permets de faire la sourde oreille lorsqu’un « Port-au-Prince » ou autre oiseau du genre vient à me demander de lui expliquer ce dont il s’agit. D’ailleurs on en propose actuellement dans tous les petits restaurants et à tous les coins de rue de la ville.
Lalo est un plat fait à partir de la feuille portant le même nom, cuite à l’étouffée avec de la viande, des crustacées et tout ce que vous voulez. Je ne l’ai jamais cuisiné personnellement mais je connais la théorie par cœur ! Par exemple, je sais qu’il faut toujours laver les feuilles avant de les hacher et qu’il ne faut surtout pas découvrir la chaudière avant cuisson complète au risque de se retrouver avec une mixture où les feuilles seront sèches et rigides au lieu d’être fondantes. Il est possible également de mélanger, « couper » comme on dit normalement, avec d’autres feuilles comme le caya, le cresson… Et ne pas oublier le bouquet final : bien épicez !
Il existe une variante du plat où l’on fait cuire du calalou avec les feuilles de lalo. Cette formule est aussi délicieuse mais risque de ne pas plaire à ceux qui, comme mon frère, ne supportent pas les ingrédients glissants ou le calalou tout simplement.
Quant à moi, je ne rate jamais l’occasion qui se présente pour en déguster et, à chaque fois, j’éprouve le même plaisir, la même excitation. Il arrive que la tentation et le plaisir l’emportent même sur les précautions sanitaires ; pas la peine de vous faire un dessin ! Je trouve encore le moyen d’éveiller la curiosité des gens de mon entourage envers ce plat. J’en ai converti quelques autres qui se sont lancés depuis dans la quête permanente de Lalo tout comme moi. Encore que je comprends difficilement ce phénomène à mon niveau vu que je suis plutôt du genre à m’efforcer à manger tout juste ce qu’il faut pour ne pas mourir.
Ce plat, vraiment, est l’exception qui confirme la règle !

Lilou